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RENNES


différence entre les auteurs de ces applications contradictoires du cui prodest au même fait : Jaurès et Mirbeau croyaient au produit de leurs imaginations excitées, tandis que Drumont et les moines de la Croix savaient qu’ils mentaient. Mais les deux foules hallucinées, les deux France qui se heurtaient dans cette lutte, ici la démocratie des villes, là les paysans, les classes conservatrices et l’armée, acceptaient les inventions de leurs meneurs avec la même crédulité furieuse, soit

    j’ai toujours répondu que cela ne me paraissait ni possible, ni vraisemblable, et je le pense encore. Ce que j’ai pu et ce que j’ai dû dire à plus d’une reprise, c’est que l’attitude de la police dans cette circonstance avait été plus qu’étrange. » Puis, le 13 : « Il me paraît manifeste que, seuls, certains de mes adversaires avaient intérêt à ce que je fusse couché par terre, le jour où j’ai été frappé. Quelques louches auxiliaires de la police auraient-ils joué un rôle dans le crime et, dans ce cas, à l’instigation de qui exactement ? Je l’ignore. Mais l’état d’esprit qui régnait à Rennes dans certains milieux dreyfusards, officiels ou non, suffit amplement, selon moi, à expliquer l’inertie de la police. Il paraissait convenable alors, non de dire toute la vérité et de provoquer, de la part de tous, de complètes explications, mais de ménager tout le monde pour obtenir ce que j’appellerai un acquittement de bienveillance. Cela devait suffire pour qu’on ne recherchât pas avec un zèle excessif un assassin qui eût pu en dire trop long. » — De même Picquart : « Waldeck-Rousseau ne sut ou ne voulut rien faire pour retrouver l’assassin de Labori. » (Gazette de Lausanne du 1er décembre 1904.) — Barrès, nécessairement, adopta les insinuations de Labori (loc. cit., 172 et 174) : « Le meurtrier serait un professionnel du crime, chose rare, ou un auxiliaire de la police, chose commune dans Rennes à cette date… La Sûreté fonctionne moins par des agents officiels que par des agents occasionnels… Écoutez et pesez les terribles paroles de cet avocat de qui j’aime mieux les réquisitoires que les plaidoyers. » (Suit la citation du Journal.) — Selon Pollonnais (Gaulois du 7 décembre 1901), un « policier » aurait assisté à l’attentat, « à deux pas de l’homme qui pressa la détente de l’arme » ; il n’avait qu’à étendre la main pour se saisir du coupable. « Quand on interroge ce témoin, il se contente de sourire discrètement. »