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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Bien que Demange eût développé en termes pressants la requête de Dreyfus, on lui reprocha de n’avoir pas trouvé les mots qu’il fallait pour exprimer sa propre émotion et soulager l’indignation des revisionnistes : au surplus, la demande d’ajournement a été tardive ; il eût fallu, disait-on, la présenter aussitôt après l’attentat où elle aurait eu plus de chances d’être accueillie, sans qu’elle eût été cependant plus conforme à la loi. Or, Demange ne pouvait point ne pas être lui-même, avec ses défauts comme avec ses qualités, qu’on connaît déjà et qu’on aperçut à Rennes en plus de lumière. Ainsi ses questions aux témoins (pendant l’absence de Labori), à Mercier, bien que judicieuses et topiques, paraissent molles et timides, et son honorable aversion pour les grands mots et les grands gestes, sa courtoisie et sa bonhomie, qui lui vaudront la sympathie des juges, ont un air de nonchalance et de faiblesse. Mathieu Dreyfus, préoccupé des avantages que ce manque de vigueur donnait à des adversaires sans scrupules et, aussi, de la santé de Labori qui certainement présumait trop de ses forces, eut alors l’idée d’adjoindre Mornard à la défense[1]. C’eût été peut-être la victoire. Avec Mornard à la barre, l’arrêt de la Cour de cassation, que les juges affectaient d’ignorer, rentrait dans les débats et les dominait. Mais Labori s’y opposa formellement, déclara qu’il rendrait son dossier, et Mathieu dut s’incliner. Cependant Mornard accourut à Rennes, malgré

  1. Mathieu m’écrivit le 16 août 1899 : « Labori va aussi bien que possible, mais il est impossible de savoir à quelle date il sera sur pieds. J’ai télégraphié à Mornard de venir de suite. » — « Le président Jouaust ne s’opposera point à cette substitution qui hâtera la fin du procès. » (Clemenceau, dans l’Aurore du 15.) — Ce fut également l’avis de Ranc, celui de Jaurès, le mien.