Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/393

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RENNES


sième audience, ce n’est plus le cas de Dreyfus qui est devant les juges, mais l’affaire Dreyfus, où, fatalement, ils vont achever de se perdre, la forêt touffue d’intrigues, de mensonges et de péripéties de toutes sortes qui était, depuis quatre ans, le drame de la haute armée et, depuis deux ans, l’histoire de France.

C’était ce que Waldeck-Rousseau et Galliffet avaient voulu empêcher par leurs instructions à Carrière, qui étaient l’expression exacte de la loi et que leur étroit devoir eût été de maintenir coûte que coûte, et sans souci de provoquer à la fois les réclamations des amis imprudents de Dreyfus et celles des amis plus avisés de Mercier. Au contraire, ils laissèrent faire, bien qu’ils se rendissent compte de la faute, mais parce que, débordés par le flot, ils craignaient qu’il fût irrésistible.

La plus grande erreur, après celle de se croire plus fort qu’on ne l’est, c’est de se croire plus faible, et les conséquences en sont d’ordinaire aussi fâcheuses.

Plusieurs des officiers parlaient bien, aimaient à s’entendre parler, n’en finissaient pas, heureux d’occuper l’attention le plus longtemps possible.

Roget étendit son réquisitoire de novembre aux incidents qui s’étaient produits depuis, notamment aux aveux d’Esterhazy, et en usa avec la vérité comme avec la logique[1]. Cet aventurier, « tellement bizarre qu’il échappe à toute explication », mais vraisemblablement à la solde des juifs[2], n’aurait jamais pu se procurer les documents qui sont énumérés au bordereau, et il

  1. Rennes, I, 260 à 340, Roget.
  2. Ibid., I, 266 : « J’ai dit devant la Chambre criminelle que si Esterhazy venait déclarer qu’il est l’auteur du bordereau, je ne le croirais pas, parce qu’on lui avait offert 100.000 francs pour le dire. »