Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/405

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RENNES


Picquart » que lui appliquaient tous les témoins militaires, mais par sa faute, parce qu’il avait fait demander au Conseil d’État de surseoir à l’examen de son pourvoi contre sa mise en réforme et alors qu’il était certain d’avoir gain de cause[1], c’est-à-dire de rentrer en possession de son grade avant le procès de Rennes. Il y aurait paru, dès lors, en uniforme, moins libre de ses mouvements, mais d’autant plus fort, après cette victoire sur Billot et sur Boisdeffre convaincus de l’avoir soustrait à ses juges naturels, et tout à la fois en droit d’exiger de ses anciens chefs le respect de ses galons et à l’abri de familiarités compromettantes.

Dreyfus craignit de le gêner, ne jeta pas le cri de reconnaissance qui lui serrait le gosier ; Picquart parla de lui sans sympathie, rappela qu’il l’avait médiocrement noté. Pauvres habiletés qui ne pouvaient échapper qu’au vulgaire, se retournèrent contre eux[2] !

L’art, utile partout et surtout en France, de la mise en scène, manqua toujours aux partisans de Dreyfus comme à lui-même. Au contraire, dans l’autre camp,

  1. Le Conseil d’enquête qui s’était prononcé pour sa mise en réforme, avait été convoqué à Paris, sous prétexte que Picquart faisait encore (en 1898) partie de l’État-Major. Il soutenait au contraire, avec raison, « qu’il ne comptait plus à l’État-Major », mais au 4e régiment de tirailleurs, à Sousse. (Voir t. III, 323.) — Comme Picquart menaçait de ne pas se rendre à Rennes pour le cas où le Conseil d’État procéderait à l’examen immédiat de son pourvoi, je consentis, bien que d’un avis opposé au sien, à faire une démarche en vue de l’ajournement qu’il désirait. (15 juillet 1899.) Il se fut rendu tout de même à Rennes et j’aurais dû ne pas me prêter à cette erreur. Picquart, dans sa lettre du 25 décembre 1900 à Waldeck-Rousseau, convient en ces termes de ses démarches auprès du Conseil d’État : « Désireux de garder ma liberté d’action, j’emploie depuis dix-huit mois tous les moyens qui sont en mon pouvoir pour retarder la solution de l’Affaire. »
  2. Barrès, 194 : « En vain Dreyfus, pour éviter de compromettre son éminent allié, ne lui jeta aucun cri de reconnaissance ; en vain Picquart lui-même, qui redoutait de paraître de mèche, commença par le renier. » Bec : « Dreyfus n’a pas eu un geste, le pauvre tremblement reconnaissant du noyé qu’on repêche… Picquart reste un ergoteur. » (Écho du 19 août.)