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RENNES


tion, et à la première « qu’elle n’avait pas vu le bordereau de près ».

Le lendemain, on la lança contre Bertulus.

Bien que la voix du juge fût sourde et que Carrière lui reprochât, en conséquence, de faire une déposition « secrète[1] », son récit avait porté, porterait surtout à la lecture, par l’analyse pénétrante des caractères, la logique courageuse des déductions, « de la véracité prouvée[2] », l’hommage, qui n’était pas seulement d’un professionnel, à l’arrêt de la Cour de cassation, et l’affirmation, qui se produisait pour la première fois à la barre : « Dreyfus est innocent[3] ! » Quelque abîmée que fût sa réputation par les attaques, se pouvait-il qu’il eût inventé toute cette scène des pleurs, des embrassades et des supplications affolées d’Henry ? Et si la scène avait eu lieu, que restait-il à démontrer ? « Je vous le dis parce que c’est ainsi ; je ne peux pas raconter les choses autrement ; dix fois, vingt fois, dans cinquante ans, je les raconterai de la même façon parce qu’elles se sont passées ainsi… » ; — comme il les avait confiées à son greffier, le jour même, et un peu plus tard, au docteur Peyrot[4].

Les anciens alliés d’Henry, qui concédaient tout juste que, « par malheur, depuis son faux, il fût un petit peu suspect[5] », prirent vivement sa défense, et l’un de leurs arguments porta : est-ce que Bertulus, trois jours après qu’il aurait deviné en lui le complice d’un traître,

  1. Rennes, I, 342, Carrière.
  2. Clemenceau, dans l’Aurore du 13 août 1899.
  3. « J’y crois profondément. Je me compromets vis-à-vis d’un parti tout entier. Il faut que ma conscience me dise que je remplis un devoir… » (I, 360.)
  4. Voir t. III, 76 et 204. — Rennes, III, 318, André ; 359, Peyrot.
  5. Rennes, I, 296, Roget.