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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


réclament un document ou un renseignement, il leur est donné aussitôt satisfaction.

Quand on sortait d’entendre ces explications de Waldeck-Rousseau, on se reprenait malgré soi, et malgré lui, à espérer, tant il semblait monstrueux que la vérité eût besoin d’avoir recours aux procédés ordinaires du mensonge. Puis on retombait dans l’atmosphère enfiévrée, où la colère, la douleur et la déclamation retrouvaient leurs droits.

Malgré des erreurs individuelles, dont plusieurs auront de graves conséquences, le groupe des partisans de Dreyfus à Rennes y vécut une vie morale très noble : les uns, angoissés surtout à la pensée du malheureux qui n’est revenu de son bagne, ne sort chaque matin de sa prison que pour de nouvelles douleurs ; les autres, dans l’inquiétude croissante des problèmes qui se dégagent du cas particulier. L’armée aura été moins atteinte, aux sources mêmes de la vie, il y a trente ans, par les défaites matérielles qu’elle a subies, qu’aujourd’hui par les défaites morales qu’elle s’inflige elle-même ! Quel avenir, révolution ou décadence, attend « une société où, malgré l’évidence accumulée, le fait qui n’est point va reprendre officiellement la place du fait qui est[1] » ? Les principes que Dreyfus a fait reparaître au premier plan de la conscience vont-ils de nouveau sombrer ?

L’ordinaire raillerie, dans l’autre camp, c’est que « les idées dreyfusiennes » sentent le protestantisme ; ces gens-là ne seront jamais « nationaux[2] ». Exactement, après quatre siècles, ce que les Guise et leurs Espagnols disaient de ceux de la religion prétendue réfor-

  1. Chevrillon, loc. cit.
  2. Barrès, 177, 192.