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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


proposa d’aller à Berlin et de s’adresser à l’Empereur allemand, qui n’hésiterait pas à ouvrir ses dossiers au chef de la charge héroïque de Sedan ; plusieurs tenaient pour le retour de Zola, dans l’espoir que Dupuy convoquerait aussitôt les assises et que les témoins de la Chambre criminelle y rediraient publiquement leurs dépositions. On objectait, d’autre part, à la démarche de Galliffet, que, Munster ayant répété à Delcassé ses anciennes déclarations à Hanotaux et y ayant ajouté une attestation formelle au sujet du petit bleu, le gouvernement allemand s’en tiendrait là ; et, au retour de Zola, qu’il n’en résulterait qu’un surcroît inutile d’agitation ; Lebret, ayant refusé de relever les témoins du secret professionnel lors de mon procès, s’y refusera de nouveau. Cependant Labori se rendit en Angleterre pour conférer avec son client[1].

La terre étrangère et l’isolement auxquels il s’était condamné lui avaient été plus durs encore qu’il ne l’avait cru, et le travail même[2] ne le distrayait pas de l’obsédante pensée du drame, où il avait tenu une si grande place, qui se déroulait maintenant sans lui, « rayé de son pays et muet », et que, de loin, à travers la tristesse des brumes de l’hiver anglais, il voyait courir à un nouveau désastre[3]. Il tremblait, et c’était

  1. Zola m’avait écrit en août, avant les aveux d’Henry, qu’il était disposé à rentrer en octobre, « même s’il ne se passait rien de nouveau jusque-là », et « à se faire étrangler à Versailles, pour la beauté d’un nouveau crime judiciaire… J’irai ensuite faire mon année de prison. Si l’on pense que cela soit bien, que je servirai ainsi la cause, je suis prêt ». Il inclinait, cependant, à « attendre à l’étranger, aussi longtemps qu’il le faudrait ». Ainsi « nous resterons les maîtres de l’agitation, de la plaie que nous pourrons toujours rouvrir et faire saigner ».
  2. Son roman Fécondité.
  3. Après avoir passé l’été à Oatlands, il s’était installé à l’Hôtel de la Reine à Upper-Norwood, à une petite distance de