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CHAMBRES RÉUNIES


(notamment Mornard qui fut, en effet, interrogé et qui, ne se doutant de rien, répondit qu’il n’avait communiqué les procès-verbaux qu’à Mathieu, à Demange et à Labori, ce qui était l’exacte vérité), Sardou proposa de prendre tout sur lui ; il déclarera qu’ayant le dessein d’écrire une pièce sur Esterhazy, il avait employé, pour avoir les documents, un de ses moyens d’auteur dramatique. Un immense éclat de rire eût mis les alguazils en déroute. Par la suite, comme Sardou se crut surveillé, on mit dans la confidence une jeune femme de lettres[1], avec qui je me rencontrai tous les jours, soit chez moi, soit à des rendez-vous convenus de la veille, chez des tiers ou dans la rue, qui allait chaque soir au journal de son pied léger et s’amusa beaucoup de son rôle de « dame voilée ». Les précautions furent si bien prises que la police, malgré ses recherches, ne découvrit rien. On s’en tira par les inventions les plus extravagantes : tantôt le dossier d’un des conseillers avait été dérobé pendant l’espace de quelques heures et photographié ; tantôt, c’était Mlle de Freycinet qui renseignait le journal. Le parquet perquisitionna au Figaro, où il ne trouva rien, puisque j’envoyais seulement dans la soirée celles des dépositions qui devaient paraître le lendemain, et le journal en fut quitte pour cinq cents francs d’amende[2].

La publication de l’enquête, commencée le 31 mars, dura jusqu’à la fin d’avril, avec un succès d’autant plus vif qu’elle s’accompagnait d’une pointe de mystère et des cris de colère des nationalistes et des antisémites contre la nouvelle félonie de la Chambre criminelle[3].

  1. Mme Fred Grésac.
  2. 9 avril 1899.
  3. Écho du 2 avril : « Pas une minute, on n’hésitera à penser que le secret a été trahi par les complices que possèdent