Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/531

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
521
RENNES


fallait laisser faire Labori ». Le reste de ma lettre relata les dernières informations de Galliffet, cette conviction générale que l’arrêt serait défavorable, et l’assurance que la lutte continuerait avec le concours du gouvernement[1].

Mathieu, dès qu’il eut la lettre de Cornély et la mienne (le 8 au matin, avant l’audience), les fit porter par Bernard Lazare à Labori, et celui-ci, dès qu’il les eut lues, déclara qu’il ne plaiderait point. Bien que Mathieu, puis Dreyfus lui-même, qui ne connut l’incident que par Labori, le prièrent de revenir sur sa décision, il n’en voulut pas démordre. Le seul fait que Mathieu avait hésité sur sa plaidoirie lui rendait, en effet, difficile, sinon impossible de la prononcer ; il eût paru subordonner l’intérêt de la cause à son amour-propre d’avocat, et l’injustice naturelle aux partis eût été à l’aise pour lui attribuer l’imminente défaite, ainsi que plusieurs, dont Chamoin, le faisaient par avance. Au contraire, en renonçant à son discours, il échappe à tout reproche, il se libère en paraissant se sacrifier ; cet acte intelligent et de bon goût lui fait honneur, et cette même injustice des vaincus, en quête d’une proie, s’en prendra à Demange. S’il avait été persuadé que son

  1. J’ai sous les yeux une copie de ma lettre à Mathieu Dreyfus, l’original étant resté aux mains de Labori. Sous le coup de l’émotion qui nous étreignait, je m’y exprime, notamment sur Chamoin, en termes très vifs et dont l’injustice m’est apparue en étudiant les choses de près. J’ai donné plus haut (voir p. 519) le passage relatif à Labori. Voici la fin de la lettre : « Je vous dois cet exposé, sans réserve, des renseignements des uns, des craintes des autres. À un homme comme vous, je n’ai pas le droit de celer la vérité. Personnellement, je garde jusqu’au bout l’espoir qu’une pareille infamie, qui déshonorerait la France, ne sera pas commise. Mais je dois encore à la vérité de dire que je suis seul à garder cette foi ou cette illusion. Je vous embrasse. »