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RENNES


plus grands psychologues ont écrit contre la manie du scrupule[1]. »

Enfin, une chose qui n’a point encore été relevée, la marque même du jésuite juriste, de l’avocat Loyola, qui soufflait le fantoche. Carrière, l’avant-veille, avait réclamé simplement l’application de l’article 76 du Code pénal qui prononce la mort (la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée, depuis la Constitution de 1848 qui abolit la peine capitale en matière politique). Mais, depuis, il avait réfléchi, j’entends qu’on avait réfléchi pour lui : demander, même à ces consciences obscures, de renvoyer Dreyfus à l’île du Diable, c’était trop ; — comme si le crime à commettre, ce n’était pas le verdict de culpabilité ; — et, dès lors, il était nécessaire de savonner la pente de l’iniquité. C’est ce que permettait précisément l’article 267 du Code de justice militaire sur les circonstances atténuantes[2], et Carrière en requit l’application.

Demange, épuisé par son long effort, dit seulement quelques mots : « Je sais que vous ne devez compte de votre jugement qu’à votre conscience et à Dieu… Des hommes d’une loyauté, d’une droiture comme celles des juges militaires n’élèveront jamais à la hauteur d’une preuve des possibilités ou des présomptions comme celles qui ont été apportées ici… J’ai confiance en vous, parce que vous êtes des soldats. »

Mais Carrière, lui aussi, était un soldat, et tous ceux qui avaient apporté ces présomptions et ces possibilités étaient, eux aussi, des soldats…

  1. Journal du 10 septembre 1899.
  2. « Les tribunaux militaires appliquent les peines portées par les lois pénales ordinaires à tous les crimes ou délits non prévus par le présent Code et, dans ce cas, s’il existe des circonstances atténuantes, il est fait application aux militaires de l’article 463 du Code pénal. »