Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/546

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
536
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


qui Rennes, toujours en vertu de leurs habitudes de théâtre, devait être « le cinquième acte »), ce fut la stupeur, « la terreur sacrée, dit Zola, de l’homme qui voit l’impossible se réaliser, les fleuves remonter vers leurs sources[1] ». Mais nul découragement.

Voici comment Brisson apprit le verdict de Rennes. Il arpentait fiévreusement, dans son jardin de Montmorency, une petite terrasse qui domine la rue ; un passant, qui retournait de Paris, l’aperçut, cria : « Vive la justice quand même ! »

Le cri de cet inconnu, ce fut celui de tous ceux qui s’étaient jetés dans cette lutte ; il jaillit de leurs cœurs, éclata, affirma sur l’heure, devant l’injustice militaire, la souveraineté du Droit.

L’instinct de justice est le plus ancien, le plus profond de l’homme. Les dieux peuvent mourir, non la justice : elle est la raison d’être du monde. Même vaincue, elle progresse. Deux voix sur sept pour Dreyfus, cinq pour les circonstances atténuantes : donc, « l’iniquité recule[2] ».

C’était exact que l’iniquité reculait ; pourtant elle tenait de nouveau l’innocent, remportait sa proie.

Qu’allait faire le gouvernement ?

On a vu que Waldeck-Rousseau, qui s’attendait à la condamnation, avait annoncé en même temps qu’il en appellerait à la Cour de cassation[3]. Encore une fois, l’intérêt de la loi (le seul que pût connaître le gouvernement), l’intérêt de Dreyfus, c’était tout un. La thèse juridique paraissait très forte : « La Cour de cassation a donné un mandat limité au conseil de guerre ; celui-ci

  1. Le cinquième Acte, dans l’Aurore du 11 septembre 1899.
  2. Clemenceau : Vers la Victoire, dans l’Aurore du 10. — Zola : « La vérité vient de faire un pas de géant. »
  3. Voir p. 520.