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CHAMBRES RÉUNIES


chambre du conseil ; son secret lui pesait ; l’un des convives ayant raconté l’incident dans un journal[1], un concert de cris discordants éclata, les uns sommant l’officier de parler, les autres de se taire. Ce vacarme coïncida avec la confirmation, par le sénateur Chovet, des propos d’un autre juge, Gallet, et avec d’autres révélations non moins graves. Monod publia une lettre du docteur Gibert, qui venait de mourir, sur sa conversation de 1895 avec Faure au sujet des pièces secrètes[2] ; Lalance déclara que Faure lui avait tenu les mêmes propos. Tout sortait à la fois. Mais, déjà, trop d’acteurs du drame étaient morts.

Freystætter, gardant son sang-froid dans tout ce bruit d’injures et d’éloges compromettants, auquel il était moins accoutumé qu’à celui des balles, écrivit alors lui-même à Lockroy, son chef hiérarchique, pour solliciter une audience ; il avait à lui exposer « les scrupules d’une conscience troublée[3] ». Il avisa, en même temps, le colonel Maurel de son intention de ne plus se taire de la communication des pièces secrètes en chambre du conseil ; et, s’étant rendu chez le général Giovaninelli, qui avait été son chef au Tonkin, il lui dit ce qu’il avait sur le cœur et ce qu’il était résolu de faire. Le gros général lui parla aussi durement que Gonse autrefois à Picquart, et Freystætter ne lui répondit pas avec moins de loyauté et de courage. Au moins, Gonse avait cette excuse que, mêlé au crime judiciaire, il défendait sa peau.

Les généraux, et les plus illustres, s’étaient contrecarrés autrefois par jalousie, et jusque devant l’ennemi,

  1. Indépendance belge du 11 mars 1899 ; lettre d’André Honnorat, rédacteur au Rappel, à Mazeau.
  2. Siècle du 24 mars. — Voir t. II, 173.
  3. Lettre du 8 avril.