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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


à peu près la vérité ou mentit seulement à la jésuite[1]. Bien qu’il ignorât encore la décision qui avait été prise de le poursuivre, il se plaignit de l’abandon de ses chefs : « Un grand chef pour qui je me suis dévoué plus qu’on ne peut se dévouer, est vivant et ne me défend pas… », et parut préparé au pire. C’était une âme basse, l’esprit le plus compliqué, le plus tortueux ; il avait été l’un des bourreaux de Dreyfus et l’un des sauveteurs d’Esterhazy ; ce n’était pas un faussaire[2].

Mais le grand débat porta sur la dépêche de Panizzardi, du 2 novembre 1894 ; c’était la dernière tranchée où les adversaires de la revision s’étaient établis.

Freycinet, plus sourd à sa conscience à mesure que l’heure du dénouement se rapprochait, en était arrivé, lui aussi, vers cette époque, à identifier « l’honneur » du ministère de la Guerre avec la culpabilité de Dreyfus. Il suffisait de le menacer pour tout obtenir de sa faiblesse. L’ancien agent Lajoux, que nous avons vu expédier au Brésil par Henry et Gribelin[3], était revenu depuis les derniers événements, s’était installé à la frontière italienne et annonçait de là qu’il allait révéler tout ce qu’il savait, notamment les confidences de Cuers

  1. Il convient d’avoir établi une note sur les pièces secrètes, celles dont avait parlé Picquart, mais il ignore ce que sa note était devenue ; il croit pourtant qu’elle a passé sous les yeux du conseil de guerre. Sur une question de Ballot-Beaupré, il répond qu’il a entendu parler de Décrion comme d’un agent d’Henry. — Il connaissait seulement les accusations de Cuignet par la publication du Figaro, écrivit le 8 mai à son frère : « Je suis bien heureux que le Figaro ait publié l’enquête ; sans cela, j’étais étranglé en douceur et dans l’ombre, sans même savoir pourquoi. Comme canaillerie, c’était assez réussi. J’espère bien que Dreyfus offrira un beau porte-cigares à M. Cuignet et à son compère. »
  2. 29 avril (Cass., II, 26, Cuignet ; 31, Du Paty.)
  3. Voir t. II, 578.