CHAPITRE PREMIER
L’AMNISTIE
I
Ces premiers temps qui suivirent la grâce de Dreyfus furent empreints, pour presque tous ses partisans, d’une grande douceur. La fin de ses souffrances matérielles les soulagea d’une angoisse qui était elle-même devenue physique. La vision du malheureux sur son rocher s’interposait depuis des années entre eux et ce qui fait à l’ordinaire la vie aimable ; Dreyfus rendu aux siens, l’humanité satisfaite, l’amertume qui s’était mêlée aux choses s’évapora. Le récit, par un témoin oculaire, de ses premières heures de liberté[1], l’évocation, par Zola, dans une lettre à Mme Dreyfus[2], du « refuge familial » où « le pauvre être » allait renaître à la vie, « réchauffé par des mains pieuses », firent couler de bonnes larmes. Les femmes surtout goûtèrent profondément « cette minute délicieuse » du retour, sans