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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


s’inquiéter « qu’on eût obtenu de la pitié ce qu’on ne devrait tenir que de la justice ». Zola, très peuple, comprit très bien que c’était le sentiment des braves gens et n’insista pas sur « son deuil de citoyen » : « Un innocent souffrait le plus effroyable des supplices, je n’ai vu que cela, je ne me suis mis en campagne que pour le délivrer de ses maux, » L’innocent était délivré, c’était donc « jour de grande fête, de grande victoire ».

Les obsèques de Scheurer donnèrent lieu à d’imposantes manifestations. Son cercueil, transporté d’abord de Luchon à Paris, fut accompagné par un long cortège à la gare de Strasbourg pour être conduit de là au cimetière de Thann[1]. Il avait écrit dans ses Mémoires : « Les Allemands me verront revenir toujours dans mon pays qui n’est pas le leur[2]. » Lalance, à la maison mortuaire, donna lecture d’une lettre émouvante de Dreyfus.

Il arriva pour Scheurer ce qui arrive pour la plupart des hommes qui ont fait leur devoir sans se préoccuper de la gloire ou de la popularité. La mort les grandit, en même temps qu’elle diminue ceux qui ont reçu pendant leur vie une bruyante récompense, ou, plutôt, elle leur rend à tous leurs exactes proportions. La noblesse du caractère de Scheurer, la beauté de son rôle vont apparaître davantage à mesure qu’on s’éloignera des événements.

Malgré le calme avec lequel les soldats avaient accueilli la grâce de Dreyfus, Galliffet adressa un ordre

  1. 25 septembre 1899. Presque tous les ministres et le président du Sénat, Fallières, assistèrent aux obsèques. Des discours furent prononcés par Cazot, Siegfried, Brisson et Ranc.
  2. Souvenirs de Jeunesse, 22.