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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


presque indépendant où il reprendrait contact avec la troupe. Grande joie pour lui de rendre à l’armée un bon serviteur et, aussi, d’établir par un bel acte simple, plus probant qu’un arrêt de non-lieu, que l’officier qui avait découvert l’innocence de Dreyfus était sans reproche. Il avait, d’une âme forte, voulu l’amnistie, mais elle lui laissait au cœur l’amertume des pénibles devoirs.

Picquart, informé de ces intentions de Waldeck-Rousseau, refusa de s’y prêter. Il ne veut rien devoir à celui qui l’a amnistié, en compagnie de Mercier et de Gonse, « sauvé » malgré ses protestations. En conséquence, — c’est la raison qu’il en donne, — il retire son pourvoi et en avise aussitôt Waldeck-Rousseau par une lettre publique[1]. Ainsi il restera lieutenant-colonel en réforme ; une loi seule peut faire rentrer les officiers en réforme dans l’armée ; Waldeck-Rousseau ne pourra rien pour lui.

Un acte noble l’est d’autant plus qu’il coûte davantage à accomplir. Picquart en a accompli de tels, quand il a sacrifié sa carrière à sa conscience. Celui-ci lui cause un âpre plaisir.

Sa lettre est éloquente, d’autant plus dure qu’elle ne l’est pas dans la forme, d’un mouvement rapide et fier, émouvante par le nouveau sacrifice qu’il y semble consentir ; seulement, si c’est un sacrifice, il le fait moins à sa conscience qu’à son orgueil ; et ce qu’il y a de noblesse dans ces pages courtoisement injurieuses est empoisonné.

Il rappelle d’abord, en quelques mots, les efforts de Waldeck-Rousseau « pour faire voter la loi dans son intégralité » et tout de suite expose son grief :

  1. 25 décembre 1900.