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L’AMNISTIE

À mes amis que mes protestations pouvaient ébranler, vous avez fait dire qu’il fallait me sauver malgré moi-même. Vous avez fait répandre le bruit que, si je passais devant un conseil de guerre, ma condamnation était certaine ; vous nous avez fait cette injure, aux membres du conseil et à moi, alors que vous savez fort bien que les faits dont j’ai à répondre devant la justice militaire ne tiennent pas debout et qu’il n’est pas un commissaire du gouvernement qui eût pu les soutenir. Vous avez craint sans doute les commentaires auxquels aurait donné lieu l’abandon inévitable des poursuites, et vous avez préféré la voie de l’amnistie qui prête à toutes les équivoques.


Voilà le ton, dès les premières lignes, celui d’un homme à qui, volontairement et perfidement, il aurait été fait un tort inutile ; et voici la thèse : « Vous avez feint de mettre en doute la justice du conseil de guerre… » ; mais le leit-motiv sonne faux, le reproche est audacieux.

Si Waldeck-Rousseau, et, aussi, Galliffet et André ont eu peur pour Picquart, est-ce que Picquart lui-même, avant eux, n’a pas eu peur pour Picquart ? Lui aussi, après comme avant l’arrêt de la Cour de cassation sur Dreyfus, après comme avant Rennes, n’a-t-il pas fait aux juges militaires cette même injure de croire qu’ils le condamneraient ? S’est-il fait injure à lui-même[1] ? A-t-il seul le droit de faire injure aux autres ? Ce faux geste tardif de confiance dans la justice militaire, qui trompera-t-il ?

Même l’abandon des poursuites par le commissaire du gouvernement, par ordre du ministre de la Guerre, aurait-il déterminé à coup sûr l’acquittement ?

  1. « Vous nous avez fait cette injure, aux membres du conseil de guerre et à moi… »