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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Puis la grâce. Il en connaît, par Clemenceau comme par Jaurès et par moi, la véridique histoire ; il n’en écrit pas moins qu’elle a été un « marché » et que ceux qui l’ont proposée et conseillée savaient que l’amnistie en serait le prix. S’il consent « à n’en pas vouloir » à Dreyfus pour l’avoir acceptée, c’est que « le malheureux, broyé par des souffrances sans nom, n’en a pas probablement envisagé toutes les conséquences ». — Et l’amnistie enfin, « l’abominable amnistie ». « Vous avez dit à la tribune de la Chambre qu’elle ne s’applique qu’à des coupables, ce dont je prends acte. » « Vous avez fait admettre que la trahison est plus excusable que le meurtre. » « Combien votre politique serait gênée si l’assassin de Labori, que votre justice n’a pu atteindre, pouvait venir impunément faire des révélations et dire sur quelles instigations il a commis son crime ! » Mais cette immorale solution n’aura qu’un temps et Picquart, à son tour, fait appel à l’histoire :


Un jour viendra où la vérité sera comprise par tous et où l’on se rendra compte que, sous prétexte de sauver la République, vous avez égaré l’opinion par une diversion plus ou moins justifiée contre des adversaires politiques, tandis que vous laissiez indemnes des criminels qui sont les véritables ennemis du pays et auxquels vous n’avez pas osé toucher parce qu’il vous eût fallu sans doute frapper trop haut, pour des crimes trop grands. Et, pendant ce temps, nos prisons sont remplies de gens dont le plus grand méfait consiste à ne pas avoir de moyens d’existence !


Sans cette « diversion » pourtant, si le coup du duc d’Orléans ou celui de Déroulède avait réussi, où serait Picquart ?

La lettre de Picquart affligea beaucoup de ses amis