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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pour lui, mais les présidents des deux Chambres, Brisson et Waldeck-Rousseau s’étaient trouvés d’accord pour l’indiquer. Lui-même ne s’attendait à rien de tel et avait borné longtemps son ambition à devenir ministre de la Marine dont il s’était fort occupé. On escomptait assez généralement qu’il tiendrait la place, tant bien que mal, jusqu’à ce que la santé de Waldeck-Rousseau lui permît de reprendre le pouvoir et il le disait lui-même, et fort sincèrement, nullement à la façon de Sixte-Quint avant qu’il jetât ses béquilles.

C’était alors un petit vieillard, très alerte à près de soixante-dix ans[1], d’une physionomie vive et ouverte, les traits énergiques et très marqués, toujours en mouvement, d’une capacité extraordinaire de travail, d’une belle vaillance civique, aussi têtu qu’on peut l’être, autoritaire en diable, ayant le goût de la lutte, rendant coups pour coups, les haines aussi vigoureuses que les amitiés, et, avec cela, sous une rude écorce, fort délié et subtil. D’une famille pauvre, élevé dans un petit séminaire[2], il avait fait de fortes études de théologie, une thèse sur saint Thomas d’Aquin, d’où lui étaient restées des convictions spiritualistes dont il ne se défendait pas, et un fonds de dialectique qui donnait à sa copieuse éloquence une ossature solide. Il était devenu anti-clérical ; mais il l’était comme on est catholique, avec des œillères et sans rien de cette grâce tolérante et un peu sceptique qui fait le charme des pensées vraiment libres ; c’était du catholicisme à rebours. Pourtant, il était concordataire, protestait de sa volonté de ne pas « troubler les consciences », affirmait l’utilité, pour

  1. Né à Roquecourbe (Tarn), le 5 septembre 1835.
  2. Chambre des députés, séance du 18 mars 1903, discours de Combes.