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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Deux ans durant, la presse revisionniste chercha en vain à élucider le mystère, à contraindre à s’expliquer ceux des amis de Mercier et de Boisdeffre qui affirmaient l’existence d’une preuve irrécusable du crime de Dreyfus, signée de l’Empereur allemand. Ils n’évoquaient jamais le spectre que pour une heure. À Rennes, malgré les questions suspectes de quelques juges à Mercier et à Mme Henry[1] et malgré un appel pressant de Clemenceau à Labori[2], la défense s’en était tue, avait laissé échapper l’occasion d’acculer Mercier à son imposture. Par où, maintenant, pénétrer dans les pénombres de l’obsédante énigme ? Dreyfus, à la suite du dernier article de Rochefort sur le bordereau annoté et des confidences de Ferlet de Bourbonne à Séverine, avait demandé à Waldeck-Rousseau d’ouvrir une enquête sur le formidable faux[3]. Il n’avait reçu aucune réponse, mais Mercier, semblait-il, avait compris ; aussitôt, comme sur un mot d’ordre, Rochefort, Drumont, les Pères de la Croix, étaient rentrés dans le silence. Comme j’attribuais le faux « impérial » à Henry, c’était l’un des points sur lesquels j’avais annoncé mon intention d’interroger les témoins, si ma demande d’enquête avait été accueillie ; j’espérais encore, quelquefois, que le jugement, qui me l’avait refusée serait réformé par la Cour. Dans le premier volume de mon Histoire de l’Affaire[4], j’avais signalé la première apparition du faux dès 1894 ; c’était « le faux des faux » et, selon moi, le plus ancien de tous.

Mathieu, avec l’aide de son frère et de Bernard Lazare, entreprit de constituer un dossier de tous les

  1. Voir t. V, 370 et 396.
  2. Voir t. V, 440.
  3. Voir p. 157.
  4. Voir t. I, 348 et suiv.