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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


rier le restituât à l’ambassadeur d’Allemagne[1], — ce qui ne lui avait point paru proprement imbécile ; — et Mathieu sut d’un ingénieur en chef de l’État, qui s’était rencontré avec Mercier, que, « frappant la poche interne de sa redingote », le général avait répété « qu’il avait là, signée W, la preuve irrécusable du crime de Dreyfus[2] », — ce qui était la confirmation des propos de Stoffel, chez le baron Rey-Roize, devant Ferlet de Bourbonne et d’autres convives à qui l’ancien colonel ne demandait pas le secret[3].

Cependant ce qu’il fallait à Mathieu, ce n’était pas la preuve que la photographie du bordereau annoté existait, qu’elle avait été montrée ou décrite dans les salons, mais qu’elle avait été communiquée aux juges ou à quelques-uns des juges de Rennes. Lequel d’entre eux en fera l’aveu ? Il fallait éliminer d’abord Jouaust, résolu comme il l’était à ne faire entendre qu’une voix d’outre-tombe, et Bréon, trop loyal, trop pur, que Mercier ne se serait pas risqué à mettre dans le secret de son imposture. Brogniart et Profilet paraissaient inabordables. Beauvais, serrant la main à Demange après avoir voté la condamnation, semblait indigne de confiance. Restaient Parfait et Merle ; Parfait, bon soldat et fort honnête homme, mais faible, nature inquiète et molle, était en activité de service ; Merle au contraire avait pris sa retraite. On racontait qu’il avait été porté jusqu’au dernier jour à acquitter ; il a été retourné, disait-on, pendant la suspension d’audience ; son émotion pendant la plaidoirie de Demange, les

  1. Voir t. V, 217.
  2. Souvenirs inédits de Mathieu Dreyfus.
  3. Cour de cassation, 3 avril 1904, Ferlet de Bourbonne ; Rey-Roize. — Voir p. 324.