Ainsi, tous ces hommes avaient, pendant des années, enfiévré et abruti l’opinion, assommé un innocent d’une preuve qu’ils déclaraient formidable, pesé sur la conscience des juges-soldats, et ils avaient fait cela sans chercher à savoir, à les en croire eux-mêmes, si la pièce qu’ils invoquaient était vraie ou fausse ; c’était une arme, et cela suffisait à leur passion et à leur haine. Ou bien, ils avaient su que c’était un faux. Il y avait plus d’enseignements, autant que le peuple en peut tirer des choses, dans la légèreté que dans la scélératesse de ces journalistes, marchands de papier et sonneurs de cymbales.
Maintenant c’est Stoffel[1]. Ferlet, toujours convaincu, le baron Rey-Roize, honnête homme à qui il répugne de mentir, Mitchell qui a mis Stoffel sur ses gardes, l’a averti qu’on le mystifiait, ont attesté les propos du vieux colonel[2]. Lui, à plus de quatre-vingt-quatre ans, toujours robuste, l’un des hommes les moins déchiffrables de son temps, aussi hardi selon l’occasion dans la vérité que dans le mensonge, l’auteur à la fois des rapports prophétiques qui auraient empêché, s’ils avaient été entendus, le désastre de l’Empire et de la félonie encore mystérieuse qui l’avait précipité[3], méchant et rusé jusque dans la moelle des os, refuse d’abord de répondre. Il ne pourrait le faire, dit-il, qu’en risquant d’entraîner des difficultés internationales ; puis il bat en retraite, mais en lançant des coups de boutoir à ses confidents d’hier. Ainsi Ferlet, qui se fait