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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/24

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


que la diminution de son personnage serait momentanée et que ceux qui lui reprochaient d’avoir déserté sa propre cause reviendraient à plus d’équité quand ils le verraient à l’œuvre, travaillant avec eux, d’une ténacité inlassable, à reconquérir tout son honneur.

Ayant écarté, comme on l’a vu, le moyen que Mathieu avait cru trouver dans le faux témoignage de Cernuski, nous tombâmes d’accord qu’il n’y avait pas autre chose à faire pour l’instant que de chercher un surcroît de lumière dans deux des procès qui restaient en suspens, celui des juges d’Esterhazy contre Zola et celui que m’avait intenté Mme Henry.

Ni Zola ni moi, également indifférents à une condamnation pour délit de presse, ne recommencerons l’erreur de Rennes. L’obsession de l’acquittement a paralysé les avocats ; nulle offensive calculée, méthodique, poussant droit à l’ennemi ; les débats, pendant vingt-cinq audiences, se sont déroulés comme si Esterhazy et Henry étaient des comparses. On a échoué à établir, devant la justice militaire, l’innocence de Dreyfus par l’absence de preuves contre lui. Nous l’établirons, devant le jury, par la preuve du crime d’Esterhazy, avoué déjà plus qu’à demi par Esterhazy lui-même, et du crime d’Henry, d’une vérité moins criante, mais combien probable, sans lequel il n’y a plus de fil conducteur à travers le drame[1].

  1. Zola croyait, comme moi, à la complicité d’Esterhazy et d’Henry ; il me l’écrivit de Londres à plusieurs reprises. — Voir t. V, 621 et suiv. — Dans son article du 5 juin 1899, à son retour en France, il y insista : « Oui, je soupçonnais Henry déjà, mais sans preuve, à ce point que je crus sage de ne pas même le mettre en cause. Je devinais bien des histoires, certaines confidences étaient venues à moi, si terribles, que je ne me sentis pas le droit de les risquer, dans leurs effroyables conséquences. »