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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pouvoir l’applaudir », que, durant toute l’Affaire, « son courage n’avait pas été à la hauteur de son talent » et « qu’il avait trahi la République ».

Il y avait longtemps que Ribot sentait le poids du silence qu’il avait gardé pendant la crise et qu’il n’avait interrompu qu’une fois, pour sauver Mercier. Se redressant dans sa haute taille, il vient de laisser tomber sur Rouanet cette phrase : « Quand nous voulons défendre nos idées, nous savons aborder la tribune, autant et plus que vous, Monsieur ! » Et c’était vrai, mais il se frappait ainsi lui-même, puisqu’on ne l’avait entendu ni sur la communication des pièces secrètes à l’insu de l’accusé, ni sur le dessaisissement, ni sur tant d’autres violations du droit. Ainsi avait-il contribué à laisser ces grandes causes à des mains plus brutales. Il était l’autorité faite homme et n’avait mis au service de la justice que des doléances. Il avait voulu préserver la force de son parti et il en avait tari les sources.

Mais ces vérités qu’il ressentait douloureusement, il ne voulait les entendre que de sa conscience. Il jeta donc aux socialistes que « leur parti n’avait vu en cette affaire qu’une affaire politique » ; les uns, « avec Millerand, ont guetté l’occasion, non pas de se sacrifier pour le droit et la justice, mais d’entrer par surprise dans le gouvernement », ils avaient « renchéri sur de Mun » ; les autres, avec Jaurès, « n’ont vu dans la même affaire qu’un moyen de créer une agitation révolutionnaire et d’ébranler la force de l’armée ». Ainsi « l’esprit de parti » a tout défiguré. Si Ribot a refusé le pouvoir après la chute de Méline, c’est qu’il eût fallu, « pour régler l’Affaire comme il convenait », que « les partis fissent trêve », et qu’il ne voulait sacrifier ni la justice ni la force de l’armée. « Il y a eu trop de calculs politiques pour que vous ayez le droit de vous présenter au pays comme les