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LE BORDEREAU ANNOTÉ

La grossière violence de l’extrême gauche avait beaucoup servi Ribot. Comme il rappelait un discours que Jaurès avait prononcé, trois ans auparavant, à Lille, discours où l’armée, sous le nom de militarisme, était comparée à « une idole pourrie qui ne contenait que déshonneur, trahison et mensonge », les socialistes applaudirent bruyamment et l’un d’eux (Walter) traita les officiers de « maquereaux ». Walter s’excusa ensuite, son injure visait seulement les officiers de l’espèce d’Esterhazy ; mais la Chambre était retournée et le vent soufflait maintenant à pleine bouche contre Jaurès.

Les radicaux, également décidés à ne pas voter son ordre du jour, bien que Brisson l’eût signé, et à garder Combes, cherchaient des formules. Chapuis reprit, mais en la corrigeant, celle qu’il avait fait voter, sous Waldeck-Rousseau, par la presque unanimité de la Chambre[1] : « La Chambre, confiante dans le gouvernement et résolue à ne pas laisser sortir l’affaire Dreyfus du domaine judiciaire… »

Il ne s’opposait plus à toute reprise de l’Affaire, ce qui n’avait jamais eu aucun sens, n’enjoignait pas au gouvernement de prendre une initiative, ne lui interdisait pas cependant d’aider à la justice.

Ribot, aussitôt, retire sa demande d’ordre du jour pur et simple ; indifférent, dit-il, « à cette question contingente si Combes restera quelques semaines de plus ou de moins au ministère », il laissera la Chambre voter la première partie de la formule de Chapuis, mais il votera la deuxième, car elle est « la condamnation et la répudiation de Jaurès ».

C’eût été folie à Combes s’il s’était attaché à l’ordre du jour de Jaurès et de Brisson, parce qu’il avait com-

  1. Voir p. 113.