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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


la justice, fort zélés pour la cause de Dreyfus, mais antisémites, disait-il, à leur propre insu. On ne l’entamait pas aisément sur ce chapitre du juif qui sème le grain et du chrétien qui fait la moisson. Malgré la part considérable qui lui revient dans la réhabilitation de Dreyfus, il n’avait point rempli son mérite. Il faisait songer à une chute d’eau très puissante dont la force n’aurait été captée que pour une heure. Il avait l’esprit français, avec le vif parfum de son terroir nîmois, et l’âme cosmopolite.

Sa mort passa presque inaperçue ; à peine quelques lignes, même dans les journaux du parti ; mais Ranc écrivit : « C’est à Bernard Lazare que je dois l’honneur de m’être jeté l’un des premiers dans la bataille pour la vérité[1]. »

Clamageran et Gaston Paris[2] moururent cette même année. Vogüé, qui n’avait point suivi Paris pendant l’Affaire[3], ne voulut point louer l’âme, l’esprit et les talents de son ami sans rappeler qu’il s’était inscrit parmi les soldats « de la cause vaincue, mais juste[4] » S’en taire serait manquer à la mémoire du mort : « Je l’ai vu souffrir, dit-il, plus qu’aucun homme de France de la crise meurtrière qui divisait ses meilleurs amis. Il y prit parti avec la fougue de sa générosité native ; l’ayant pris, il s’y tint avec une ardeur douloureuse… Où dirait-on, sinon sur le bord de cette tombe, ce qu’il faut crier pour l’honneur de notre pays ? Au-dessus des louches intérêts et des passions animales, les plus braves cœurs de France se sont rués les uns contre les autres, dans la nuit, avec un égal désintéressement,

  1. Radical du 4 septembre 1903.
  2. Gaston Paris, le 5 mars ; Clamageran, le 5 juin 1903.
  3. Voir t. III, 545.
  4. Voir t. IV, 150.