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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


tête de sa Ligue. Après la défaite, la demi-défaite plus dure à supporter, quand à l’excitation fortifiante succéda l’énervement de l’attente, le ressort, héroïquement tendu, céda et l’ombre entra dans cette claire intelligence[1]. Nulle fin plus triste, surtout s’il connut son mal. Comme il ne pouvait plus rien pour la cause dont il mourait, ceux qui lui avaient fait les blessures les plus cruelles respectèrent son agonie.

La vie de Duclaux avait été, elle aussi, usée par les émotions de l’Affaire[2]. Le jour où il écrivit sa lettre d’adhésion à Scheurer[3], il avait compris qu’il faisait le sacrifice de son repos ; bien des fois, le souvenir lui revint de ses hésitations, quand il tenait encore entre ses mains le petit papier, et, quand il ne l’eut plus, de son « soupir de soulagement[4] ».

Il vécut les deux dernières années de sa vie avec la mort, sans illusion et sans peur, se sachant condamné depuis une première attaque d’hémiplégie qui l’avait abattu à une séance du Comité de la Ligue. Son maître Pasteur avait subi plusieurs de ces crises et avait duré vingt ans, sous la menace d’une fin prochaine, travail-

  1. Painlevé, dans le discours qu’il prononça à l’inauguration de la statue de Trarieux, le montre « réfrénant » d’abord « les révoltes de sa sensibilité » ; mais c’était là pour une nature comme la sienne, « une tension surhumaine ». « Un jour, cette résistance héroïque céda brusquement, cette lumineuse intelligence s’éteignit. » — De même Dubost : « Nul doute que l’intensité des émotions n’ait usé sa vie. » (Discours du 12 mai 1907) et Decrais : « Les blessures répétées que lui firent des mains hostiles et même des mains amies l’atteignirent dans ses forces vives, et c’est alors que le mal commença d’apparaître, d’exercer ses ravages. » (Discours du 16 mars 1904, aux obsèques.)
  2. « Dois-je regretter la lutte, si énervante, qui lui a coûté la vie ? » (Mme Émile Duclaux, Vie de Duclaux, 258.)
  3. Voir t. III, 169.
  4. Lettre à Mme Duclaux.