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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


« d’avoir dénoncé comme étant la dame voilée une femme absolument innocente de toute immixtion dans les affaires Dreyfus et Esterhazy », et, par l’immense diffamation anonyme qu’on appelle la rumeur publique, d’avoir livré au mari la correspondance intime de sa femme.

Comme Pellieux, quand il fit perquisitionner chez Picquart[1], n’y découvrit aucune correspondance de Mme Monnier, aucune lettre n’avait été livrée. Il était exact, par contre, que Ducassé avait indiqué Mme Monnier à Bertulus, sans la nommer, donnant seulement son adresse « approximative » ; mais il l’avait fait par ordre de Pellieux[2], comme il avait rédigé les procès-verbaux de l’enquête sur Esterhazy et comme il était allé chercher Boisdeffre au procès Zola.

Ducassé pouvait-il refuser d’exécuter l’ordre du général ? Il n’y avait plus alors, dans la fièvre de ce drame romantique, beaucoup d’esprits assez réfléchis pour mettre en doute l’aventure d’Esterhazy avec la dame voilée ; partisans comme adversaires de Dreyfus cherchaient de toutes parts le mot de l’énigme, essayaient des noms[3]. Ces sortes de mystifications grossières ne paraissent incroyables qu’avec le temps ; ceux qui leur ont ajouté le plus de foi refusent alors d’en convenir, fût-ce avec eux-mêmes ; ceux-là seuls

  1. Voir t. III, 94.
  2. « Au cours du procès Zola, le commandant Ducassé se présenta dans mon cabinet, au nom du général de Pellieux, et me dit : « Nous savons qui est la dame voilée, nous avons donné « notre parole d’honneur de ne pas donner son nom, etc. » (Cass., I, 234, Bertulus. — Voir t. III, 520.) — À l’enquête de la Chambre criminelle, quand Baudouin donna lecture de la déposition de Bertulus, Ducassé interrompit : « Oh ! nous, pas du tout ! Non ! Non ! » (9 mai 1904.)
  3. Voir t. III, 11.