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L’ENQUÊTE


gnage, ce qui lui ferait perdre sa place à l’ambassade, mais « elle aurait toujours sa pension » ; après le procès, elle était retournée chez lui, il l’avait chassée ; son allocation lui a été supprimée. Sans une femme charitable qui la secourait depuis quatre ans, elle mourrait de faim « à cause des sales juifs ». — Mercier convint de l’avoir fait appeler, mais seulement pour la prévenir de son intention de la citer à Rennes, nullement pour l’intimider ou acheter son témoignage, auquel il avait d’ailleurs renoncé ; et c’était, en effet, la charité de l’une de ses amies qui la faisait vivre[1].

Les conseillers savaient que Schwarzkoppen, n’ayant point reçu le bordereau, ne l’avait point déchiré en

  1. Cour de cassation, 28 mars 1904, Mme Bastian ; 29 mars, Mercier ; 17 mai, Mme Roger-Jourdain, déposition reçue par le juge Boucard. — Mercier avait refusé de donner le nom de Mme Jourdain, mais la Bastian l’avait nommée. Mme Jourdain convint que, depuis le mois de février 1900, elle faisait à la Bastian une pension de 150 francs par mois. C’était Judet qui l’avait informée de la détresse de l’ancienne « voie ordinaire ». « Mme Bastian lui avait confié un lot de 34 lettres d’Henry » qu’elle déposa. C’étaient les lettres par lesquelles Henry donnait rendez-vous à la « voie ordinaire » pour recevoir les paquets volés à l’ambassade. Celle du 25 septembre 1894 était ainsi conçue : « Ma cousine, me voici rentré, en très bonne santé, après avoir beaucoup chassé et beaucoup tué de perdrix. Je viens vous prier de présenter mes amitiés au cousin Auguste. » D’après l’Éclair, qui publia ces lettres, « c’était donc vers le 26 ou le 27, à la première rencontre provoquée par cette lettre (du 25), que devait se placer l’arrivée du bordereau ». C’était, en effet, dans un cornet apporté vers cette date par la Bastian qu’Henry prétendait avoir trouvé le bordereau qui lui fut remis intact par Brücker, (Voir t. Ier, 49.) Henry écrivit alors à la Bastian : « Vendredi. Je vous prie de ne rien faire pendant une quinzaine de jours au moins. Restez bien tranquille et écoutez-moi bien Ne faites rien, nous avons le temps et nous pouvons bien nous reposer pendant quelque temps. Je vous expliquerai peut-être cela la première fois que j’aurai le plaisir de vous voir. » Mme Roger-Jourdain déposa que « Mme Bastian lui avait dit avoir reçu cette lettre aussitôt après l’arrestation de Dreyfus ».