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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Ranc, qui était parmi les radicaux le plus voisin des socialistes, adopta la même attitude ; il a toujours mis son orgueil à être avant tout politique ; l’amnistie est une opération politique : il ne s’y opposera pas.

Il n’allait donc rester contre l’amnistie, avec les trois hommes (Zola, Picquart et moi) qui avaient un intérêt personnel à la repousser, que la Ligue des Droits de l’homme avec Trarieux, une demi-douzaine de journalistes avec Clemenceau, quelques rares républicains, dans les deux Chambres, qui ne pouvaient se résigner ni à l’impunité des grands crimes ni « aux hypocrisies d’apaisement[1] » ; et derrière eux, quelques milliers de revisionnistes militants, qui, gardant encore toute l’impulsion du drame, ne voyaient rien au delà de l’idée de justice, leur seule politique depuis deux ans. Mais telle était la force de l’objection morale qu’ils représentaient, qu’il faudra à Waldeck-Rousseau plus d’un an pour faire entrer l’amnistie dans la loi.

V

Méline, au lendemain de Rennes, poussé par les nationalistes, avait réclamé la convocation d’urgence des Chambres (14 septembre). Waldeck-Rousseau s’y refusa : les Chambres, en ce moment, ne feraient rien que recommencer le procès Dreyfus, jugé à Rennes, et interpeller sur le complot royaliste, déféré à la Haute-Cour. Il les maintint en vacances, pendant deux mois de plus, jusqu’au 14 novembre.

Ici encore, l’opinion républicaine fut avec lui, parce que cette soudaine tendresse des plébiscitaires pour le

  1. Louis Havet, dans le Petit Bleu du 8 novembre 1899.