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L’AMNISTIE


des faveurs du pouvoir, de places et de décorations pour leur clientèle, et, tout à la fois, ne cédant rien sur le fonds, mettant leur empreinte aux lois, « socialisant » la République. Dans cette question de l’amnistie, quand Dreyfus, sorti de prison, rendu aux siens, ne parle plus à l’imagination, ne touche plus la fibre populaire, pourquoi ces réalistes s’obstineraient-ils ? Il y a pour eux des avantages plus positifs que des arrêts de justice à tirer du formidable ébranlement qu’a produit l’Affaire.

Grand soulagement pour Waldeck-Rousseau, pour les radicaux, pour tout le monde, quand les socialistes lâchent ainsi la partie, renoncent à réclamer le bagne pour Mercier, car il ne peut y avoir d’agitation inquiétante que par eux, dans les réunions ou dans la rue. Du coup, ils reçoivent leurs lettres de grande naturalisation politique.

La plupart des nouvelles recrues du socialisme, celles qui lui étaient venues par l’Affaire, mais qui étaient presque toutes universitaires et bourgeoises, refusèrent de suivre le mouvement et cherchèrent à retenir Jaurès ; mais Jaurès subissait alors l’ascendant de Millerand. Tout décidé qu’il fût à reprendre son rôle dans la tragédie quand le rideau se lèvera sur le dernier acte, il ne l’était pas moins à ne pas s’user dans l’entr’acte, à ne point paraître hypnotisé par Dreyfus. Il déclara aux amis qui le pressaient qu’il n’attendait rien de nouveau d’aucun des procès en suspens, ni de celui de Zola ni du mien ; « il était dangereux de faire mine de poursuivre Mercier », puisqu’on ne pouvait pas l’atteindre par la procédure légale ; en conséquence, il ne combattra pas l’amnistie, il laissera faire[1].

  1. Dépêche du 3 janvier 1900.