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L’ENQUÊTE


poursuivait l’aveu, comme ils n’avaient point commis celui dont il les faisait accuser, ils n’achèteraient pas un acquittement certain par une confession déshonorante. Ainsi le dernier coin d’ombre de l’Affaire ne sera pas éclairé et l’œuvre de justice qui va s’accomplir aura été éclaboussée d’un acte d’arbitraire.

XV

Maintenant, il faut finir. Pourtant, Dreyfus ayant demandé à faire une déclaration devant la Chambre criminelle, la Cour y consent, curieuse de voir l’homme, de l’entendre[1].

Même déception qu’à Rennes, même absence de toute émotion communicative, même stoïcisme correct, même fierté (qu’on admire, mais qui laisse froid) à ne rien devoir à la pitié, aux supplices de l’île du Diable, à la chair broyée et pantelante d’alors. C’est lui « qui a de la pitié pour les hommes qui se sont déshonorés en laissant condamner un innocent par des moyens criminels ». Dans une des lettres de Chamoin à Galliffet, versée au dossier, il a lu : « Dreyfus n’a pas su émouvoir, le cœur n’a pas parlé. » Dreyfus commente : « Ici, je suis stupéfait ; je crois en la raison, je croyais que la raison en des affaires semblables, où les entraînements du cœur ne sauraient apporter aucune explication, aucune atténuation, devait être le seul guide du juge. »

Un Romain, de Plutarque ou de Tite-Live, ne parlerait pas autrement ; mais le cœur, lui aussi, a ses rai-

  1. 22 juin 1904.