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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


rapports de Guénée, « déductions de l’esprit » de Du Paty ou de Mercier, « conjectures » de Gonse ou de Cuignet, faux d’Henry, faux témoignages de Cernuski ou de Rollin, lettres ou notes de l’Empereur allemand, folies frauduleuses de Bertillon ou de Valério, — et, quand rien n’en reste, Dreyfus est innocent.

Grand contraste entre l’esprit prudent, la prose pondérée de Moras, et la pensée bouillonnante, l’éloquence irritée de Baudouin. Mais leurs rôles, tels que la loi elle-même les a tracés, sont aussi différents que les tempéraments qu’ils ont reçus de la nature ; et chacun, demeurant dans son caractère, reste dans son rôle.

Un réquisitoire n’est pas une catilinaire ou une philippique ; il n’est pas davantage un rapport, un simple exposé des faits. Le Procureur général n’est pas un juge ; il est l’avocat de la loi. Moras, assis, a lu d’une voix toujours égale son historique toujours équitable. Baudouin, debout, parle d’abondance, pendant huit audiences[1], infatigable, d’une voix toujours forte et pleine, pressant, tordant les arguments, évoquant les hommes, d’une verve qui ne tarit point, en bataille, en colère, retroussant ses manches, frappant parfois trop dur et, ce qui est plus grave, à côté, insoucieux de l’élégance, prenant les mots tels qu’ils lui viennent, les adjectifs usés qui ont perdu toute saveur, mais toujours vigoureux et sain, réconfortant, dédaigneux des haines, s’il s’inquiète trop des injures, et, s’il ne contente pas toujours la raison, soulageant les consciences.

Ayant cru Dreyfus coupable jusqu’à l’heure où il a ouvert le dossier, avec la certitude d’y trouver la preuve du crime, Baudouin n’est pas de ces néophytes grossiers qui font dater du jour où ils se sont convertis

  1. 25, 26, 27, 28, 30 juin, 2, 3 et 5 juillet 1906.