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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


tant de sève exubérante et débordante, qu’il lui en reste encore trop, jusque dans cette extrême abjection, pour que la pensée lui vienne d’en finir d’un coup de rasoir ; et il a été tout ce que l’on voudra, escroc, maître-chanteur, proxénète, mais il ne veut pas avoir été un traître ; son invention qu’il a été un contre-espion, c’est le dernier lambeau d’uniforme qui lui reste. « Que j’ai écrit le bordereau, dit-il à Drumont, tout le monde le sait, et mieux encore que les autres, ceux qui le nient avec impudence, qu’ils soient de Normale, de Polytechnique ou de Charenton. Mais j’ai obéi à Sandherr[1]. » Et il précise, trouve, ajoute de nouveaux détails : il a porté le bordereau à l’ambassade, en l’absence de Schwarzkoppen, « un samedi de septembre, puis il est parti le soir même, pour la campagne… Le colonel lui avait recommandé de ne pas dater, afin qu’on pût affecter à la lettre la date qu’on jugerait utile[2]. »

Par contre, Boisdeffre et Mercier se taisent.

Boisdeffre, depuis sept ans, s’était condamné à une telle retraite, enfermé dans un tel silence, que beaucoup en oubliaient qu’il avait été le principal complice de la forfaiture de Mercier, le complaisant des faux d’Henry, le persécuteur de Picquart, l’un des inventeurs de la légende du bordereau annoté, tantôt le mauvais génie de Billot, tantôt l’instigateur des intrigues contre lui, et qu’il n’avait parlé sous serment, à Rennes comme aux enquêtes de la Cour de cassation, que pour accabler Dreyfus. Il semblait un mort, tant il s’était retranché du nombre des vivants, et l’on ne se fut étonné que d’entendre un cri sortir de ce tombeau. Mais Mercier avait été un chef, l’âme même de la résistance, le pre-

  1. Lettre du 29 juin 1906 à Drumont.
  2. Lettre du 8 juillet 1906.