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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


amnistierons avec vous, quand l’encre sera humide sur l’arrêt. Quelle hâte vous emporte ? Laissez seulement rendre l’arrêt vengeur. Laissez seulement passer la justice…[1] »

Les articles de Clemenceau furent d’un ton plus âpre. L’amnistie, à ses yeux, n’est pas seulement une erreur ou, même, une faute, mais un « crime », une « honte » ; il l’appelle « l’amnistie scélérate » ; c’est l’un des symptômes « d’une débâcle morale comme il ne s’en est pas vu de pareilles dans l’histoire d’un peuple réputé maître de ses destinées ». « Lorsque des politiques, écrivait-il, voire des plus avancés, se vantent de trouver des conditions de paix dans cet effondrement total de la Justice et de la Vérité ; lorsque surtout le peuple, indifférent à toute autre chose qu’aux illusions de la phraséologie, se grise de mots sans chercher la réalisation des idées, c’est que tous les éléments de vie par lesquels une nation subsiste et grandit sont en voie de régression définitive[2]. » Il malmena fort les ministres, « gens faibles de cœur », apeurés devant la Jésuitière bottée ». « Ils se font les complices des bandits ». « Ils ajournent la volonté, ils ajournent le courage et ils appellent cela gouverner la République française. » « On n’apaisera rien ou, si l’on fait le silence, ce sera le silence d’une agonie. »

Les articles de Clemenceau et les miens, ceux d’Yves Guyot et de Pressensé, les lettres « ouvertes » de Trarieux et d’Havet, une lettre de Dreyfus au Sénat, le conjurant de ne pas lui enlever ses moyens de réhabilitation, entretenaient l’ardeur des militants, provoquaient des répliques de Drumont et de Lemaître, don-

  1. Siècle au 13 novembre 1899.
  2. Aurore du 17 novembre.