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L’AMNISTIE


la Libre Parole, pour les articles où il était accusé de s’être fait tirer une balle dans le dos, d’avoir machiné de toutes pièces l’attentat de Rennes. Drumont fit défaut, dans l’impossibilité où il était d’alléguer, non pas même l’ombre d’une preuve, mais une apparence de bonne foi, et il fut condamné, comme le demandait Labori, à un franc de dommages-intérêts et deux cent quarante insertions dans les journaux (13 décembre). — Drumont ayant fait opposition, un accord intervint par la suite entre lui et Labori qui se contenta d’une rétractation du diffamateur.

Ces suspensions de la justice, par trop semblables à des dénis de justice, indignèrent fort les adversaires de l’amnistie. Les amis de Mercier, maintenant rassurés, racontaient que le projet de Waldeck-Rousseau avait été « pensé » par Picquart et « rédigé par moi[1] ». Manœuvre grossière qui fit des dupes, poussa aux polémiques.

J’avais essayé, jusqu’à la dernière minute, de dissuader Waldeck-Rousseau ; son projet même fortifiait mon principal argument : « Vous excluez Dreyfus de l’amnistie ; c’est pour lui conserver son droit à la justice ; lui laissez-vous tous les moyens de le faire valoir ?… » Je ne partageais pas l’opinion que Mercier, mis en accusation, serait absous par la Haute-Cour ; je ne tenais pas, d’ailleurs, à ce qu’il souffrît dans sa chair ; seul l’exemple importait à la leçon de morale et de justice sans laquelle ni l’armée ni le pays lui-même ne retrouveraient leur équilibre : « Que vous demandons-nous ? D’attendre, pour amnistier, que l’encre soit sèche sur le verdict qui aura dit que la forfaiture est et reste un crime ? Non, pas même cela. Vous amnistierez, nous

  1. Gaulois du 20 novembre 1899.