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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


décharge, et des officiers juifs. À Rochefort, les camarades de Freystætter n’eurent avec lui que des relations de service, ne saluaient pas sa jeune femme. Hartmann, à Versailles, ne fut pas mieux traité ; il fallut, pour éviter un éclat, l’adjoindre à son ami Ducros, à l’atelier d’artillerie de Puteaux, isoler ces deux lépreux qui n’avaient pas voulu parler contre leur conscience.

Comment faire coexister une grande démocratie, absolument libre et profondément divisée, et une armée qui ne peut tenir que par la discipline et qui périra si la politique y pénètre ? La République, entrant dans sa trentième année, apercevait enfin le problème.

Problème difficile, si la République n’avait eu affaire qu’à la caste militaire, à son dédain pour le gouvernement légal, à sa prétention d’être maîtresse chez elle, à son esprit d’envahissement ; mais combien plus difficile encore depuis que les fautes et les erreurs des grands chefs, les crimes de quelques-uns, les secrets de l’État-major divulgués, l’injustice répétée des conseils de guerre, avaient porté à l’institution militaire elle-même, une pire atteinte que celle des défaites ! En vain, tout le long du drame, nous avions averti les chefs et les prétendus défenseurs de l’armée qu’ils l’engageaient dans la pire des aventures. Maintenant le mal apparaissait. Il n’y avait pas d’« ennemis de l’armée » à l’époque où les meilleurs citoyens, Scheurer ou Grimaux, étaient accusés de l’être. Un an plus tard, nombre de socialistes et d’« intellectuels » exaspérés l’étaient devenus. Le militarisme a produit l’antimilitarisme. Encore un peu, l’antipatriotisme sera la réaction imbécile ou scélérate contre les patriotismes de carrefour.

Avant tous, Gohier avait proposé et prêché la détestable croisade. « L’épisode romanesque du capitaine millionnaire, sacrifié par de méchants camarades et par