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L’AMNISTIE


produit qu’une seule depuis la grâce de Dreyfus, parmi de tout jeunes gens et à l’issue d’un banquet ; — une demi-douzaine de lieutenants d’infanterie avaient fait scandale dans les rue de Montélimar ; l’un d’eux, plus ivre que ses camarades, avait crié : « À bas Loubet[1] ! » — Mais l’ordre matériel n’est pas tout l’ordre, surtout dans l’armée ; une sorte d’indiscipline morale, de rébellion latente, est plus grave de conséquences que des actes isolés d’insubordination.

Si le décret de Galliffet avait eu besoin d’être justifié après l’expérience des dernières années, il l’aurait été par l’hostilité aussitôt accrue des coteries militaires. Galliffet eût supprimé radicalement les commissions, réclamé pour lui seul le droit d’avancer au choix les officiers de tous grades, alors qu’il débouchait seulement l’étroit couloir où étouffaient les républicains, le mécontentement n’aurait pas été plus vif. Aussi bien vit-on dans son décret une préface, un commencement. Le ministère, qui avait fait si peu d’exemples, qui témoignait d’une si grande volonté d’apaisement, fut, plus que jamais, « le ministère Dreyfus » ; plus que jamais, les officiers firent montre de leurs sympathies pour les ennemis et les plus grossiers insulteurs de la République. Partant, leurs propos colportés, leur attitude provocatrice, les commentaires de la presse nationaliste et cléricale, impatientaient les républicains et allaient préparer d’autres fautes.

Une chose, laide entre toutes, porta beaucoup, dès qu’elle fut connue, sur l’opinion : la « mise en quarantaine » des quelques officiers qui avaient osé déposer à la Cour de cassation et à Rennes comme témoins à

  1. Le sous-lieutenant de Bernard ; Galliffet le mit en disponibilité par retrait d’emploi et envoya le régiment à Gap.