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L’AMNISTIE


l’Exposition Universelle. La parole une fois donnée, dans un intérêt patriotique, nous la tiendrons.

Nous ne laisserons prescrire aucune de nos revendications ; mais cette fête que la France offre au monde, non, nous ne la troublerons pas !


Qu’y avait-il dans ce passage de mon discours[1] que je n’eusse déjà dit, écrit vingt fois ? Qui avait pensé que Dreyfus se satisferait de la grâce ? Quels cris, s’il s’en fût contenté ! « Le juif est libre. Il est entouré des siens. Il mange et boit en paix. Est-ce que cela ne suffit pas à un juif ? Que lui faut-il de plus ? Un chrétien mourrait à la peine, à la conquête de son honneur… » Mais les discours ont leur destin comme les livres.

Le sort de celui-ci fut singulier. D’abord, il me vaut les compliments de plusieurs ministres[2], malgré la dure phrase sur l’amnistie ; puis, tout à coup, comme autrefois « l’honneur de l’armée », une nouvelle formule : « la reprise de l’Affaire » éclate et remplit l’atmosphère de fumée. — « Le pays commençait à respirer » ; les juifs ont décidé de le bouleverser à nouveau ; ils reprendront l’agitation dès que sera écoulé l’« armistice » de l’Exposition[3] ; le « discours de Digne » a été concerté avec Waldeck-Rousseau (à qui j’ai dicté, il y a trois semaines, par une contradiction inexpliquée, « l’amnistie juive »). — Ceux qui découvrent et dénoncent ce nouveau complot, ce sont le même Lemaître et le même Drumont qui, eux aussi, repoussent l’amnistie.

  1. Le reste du discours était consacré à la politique générale, à l’entrée des socialistes au pouvoir, etc. Il n’y était plus question de l’Affaire, (Les Blés d’hiver, 239 et suiv.).
  2. Leygues, Millerand, Decrais.
  3. Dès le 15 mars, Cornély avait écrit dans le Figaro : « L’Exposition sera l’armistice ; c’est pourquoi je l’aime. » — Déroulède, à Saint-Sébastien, exprima la même idée.