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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Je ne m’étais pas tenu bien haut dans la vérité ; je fus traité comme si je m’étais élevé au sommet.

On était à dix jours des élections municipales. La campagne, paisible en province, était violente à Paris. Les gens de la Patrie Française, ceux de la Ligue des Patriotes multipliaient les efforts pour s’emparer de l’Hôtel de Ville. Un matin, les murs se couvrirent d’affiches portant, en gros caractères, le titre : La Reprise de l’Affaire, et reproduisant les phrases incriminées de mon discours. Les conseillers municipaux, radicaux et socialistes, déjà traqués pour avoir voté l’achat du livre de Gohier, l’Armée contre la Nation, sont rendus responsables de mes paroles. Aussitôt ils s’effrayent, s’échauffent contre moi, croient ainsi se sauver et assurent d’autant plus leur défaite.

La population parisienne avait d’autres griefs contre la municipalité radicale : sa gestion coûteuse, le favoritisme qui régnait à l’Hôtel de Ville ; mais la formule, le cri de ralliement lui manquait : elle vota contre « la reprise de l’Affaire ». Plus de la moitié des quartiers[1] nomma des nationalistes, trois des prisonniers et trois des avocats de la Haute-Cour, le professeur Dausset, récemment révoqué par Leygues. Depuis Boulanger, les républicains n’avaient pas subi à Paris une telle défaite.

La sage province, en dépit des mêmes excitations, donna aux républicains une majorité considérable ; mais bien que Paris ne fût plus depuis longtemps l’autorité politique et sociale qu’il avait été, sa manifestation porta beaucoup, troubla surtout les députés. Ceux qui connaissaient la loyauté de Waldeck-Rousseau et son obstination une fois qu’il s’était arrêté

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