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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


parce que Du Paty lui avait affirmé la culpabilité de Dreyfus. — Et il découvrait des retouches où il n’y en avait pas, — parce que le procès de la Boussinière l’obsédait.

Mais comme l’idée ne lui était pas encore venue qu’un homme, intéressé à déguiser son écriture, trouverait habile de la reproduire scientifiquement, ce soupçon qu’il avait de la fabrication artificielle du bordereau venait à la décharge de Dreyfus. Il ne l’accusait pas d’avoir décalqué sa propre écriture ; un autre, quelque scélérat inconnu, la lui aurait volée.

Comme un avis au juge qu’il prémunit contre l’erreur, il inscrit la supposition d’une forgerie en tête de son rapport : « Si l’on écarte l’hypothèse d’un document forgé avec le plus grand soin, il appert manifestement pour nous que c’est la même personne qui a écrit toutes les pièces communiquées et le document incriminé[1]. »

Ainsi, le 13 octobre, Bertillon après Gobert, le photographe après l’expert, a refusé une attestation sans réserve ; ils ont résisté aux sollicitations insidieuses de l’État-Major, Gobert à celles de Gonse. Bertillon à celles de Du Paty.

  1. Rennes, II, 822. — C’est l’évidence, rien qu’à la lecture, que l’hypothèse de la forgerie arrive ici comme un élément à la décharge de Dreyfus. Bertillon, sans doute, affirmera à Rennes, en réponse à une question de Labori, « qu’il ne s’est jamais occupé de savoir si son opinion était favorable ou non à l’accusé ». (II, 378.) Mais, dans l’audience précédente (II, 324), alors qu’il n’entrevoyait pas, dans son cerveau obscurci, les conséquences de son aveu, il avait fait cette déclaration ; « La question que je me posai, lorsque je fus informé, le surlendemain lundi, de l’arrestation de l’auteur présumé du bordereau, et lorsqu’on me fit connaître, sous le sceau du secret, ses nom et qualités, fut celle-ci : « N’était-il pas possible qu’à l’exemple du faux testament de la Boussinière, le bordereau eût été créé de pièces et de morceaux par un criminel inconnu, qui aurait eu pour but de perdre un ennemi personnel ? »