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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


absence de Cordier[1] pour s’emparer de la place. Du Paty, qui n’appartient pas à la section de statistique, s’adresse de préférence à lui. De même, les grands chefs, Gonse, qu’il domine par sa brusquerie, Boisdeffre, qui semble le craindre, Mercier lui-même.

Le voici au centre de l’opération, comme l’araignée au centre de sa toile. Il tisse lentement, prudemment. Au bureau, il flatte la manie antisémite de Sandherr qui cependant ne l’aime pas, se défie de lui, l’interroge parfois d’un œil scrutateur[2]. Dans les couloirs, il répand habilement les informations, affirme l’existence de preuves mystérieuses. Il laisse les grands gestes, les discours à Du Paty. Qui se défierait de ce gros homme trivial, de ce rustaud à large poitrine ? Seul, Forzinetti a lu en lui.

Tout prudent qu’il est, c’est un homme d’action qui sait la force de l’audace sur les hésitants. Plébéien sans culture, il connaît le vide de ces cervelles d’aristocrates lettrés, de faux savants. Il sait leur haine du juif, leur désir ardent qu’il soit coupable, et, dès lors, qu’ils accepteront sans hésiter les inventions les plus grossières si elles doivent servir leur cause. Ou ils n’apercevront pas la fourberie, ou, s’ils l’aperçoivent, ils feront semblant de n’avoir rien vu.

Du Paty cherche, avec une conscience féroce d’inquisiteur, des preuves. Henry, tranquillement, en forge.

IV

Il avait été chargé de conduire Dreyfus au Cherche-Midi. En descendant les escaliers de l’État-Major, Dreyfus

  1. Cordier fut absent, en mission, pendant presque toute la seconde quinzaine d’octobre.
  2. Rennes, II, 520, Cordier.