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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


écriture », il en conclut, « sur son honneur et conscience », à la culpabilité de l’accusé.

Et Charavay, lui aussi, avait causé avec Bertillon[1]. Il avait « pensé, tout d’abord, étant donné le caractère même du document, qu’il ne pouvait être que d’une écriture déguisée[2] ». Il attribua donc à la dissimulation les différences, qu’il relèvera d’ailleurs et consignera loyalement dans son rapport. Or, cette idée, « genèse de son opinion[3] », était absurde. Pourquoi la lettre d’un espion à son employeur serait-elle empreinte nécessairement « d’une certaine dissimulation dans le graphisme[4] » ? Qu’elle soit d’une écriture entièrement contrefaite, conventionnelle, on le peut concevoir. Qu’elle ne comporte que de menues dissemblances, « si menues et si mesquines, selon Bertillon, qu’elles n’altèrent pas le graphisme général », rien sinon l’imbécile système de l’auto-forgerie n’expliquerait une pareille aberration.

Charavay, laissé à sa seule conscience, y aurait réfléchi ; à regarder le bordereau d’un œil non prévenu, il eût vu qu’il n’y avait pas d’écriture plus franche ni plus libre. Par malheur, il n’avait pas eu la sage prudence de Pelletier ; comme Pelletier, en expert consciencieux, il n’eût pas dû aller chez Bertillon ; il s’y était rendu : l’insensé, dont il ne se méfiait pas, l’avait poussé dans l’erreur[5].

Grave imprudence que cette visite chez Bertillon, et

  1. « Je n’ai reçu la visite que de MM. Charavay et Teyssonnières. » (Déposition de Bertillon devant le 1er conseil de guerre ; instruction D’Ormescheville, 10 novembre 1894. (Cass., II, 55.)
  2. Rennes, II, 461, Charavay.
  3. Ibid., 501.
  4. Ibid.
  5. Relisez ici le passage, cité plus haut, de la déposition de Pelletier. (Rennes, II, 470.)