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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Dreyfus répondit :

« J’affirme que je n’ai jamais écrit cette lettre infâme. Un certain nombre de mots ressemblent à mon écriture ; mais ce n’est pas la mienne. L’ensemble de la lettre ne ressemble pas à mon écriture ; on n’a même pas cherché à l’imiter[1]. »

Du Paty fit faire à Dreyfus une copie du bordereau. La dissemblance des deux écritures apparut si vivement que Du Paty n’osa pas montrer la copie aux experts, ni à Charavay qui en aurait pu être frappé, troublé dans ses conclusions, ni même à Teyssonnières[2].

Il n’osa même pas la faire photographier.

C’était la pièce décisive, capitale ; mais l’expertise avait coûté déjà trop de peine, causé trop d’angoisses ; c’eût été folie.

Du Paty rapporta à Mercier que Dreyfus, d’une astuce consommée, avait altéré son écriture habituelle en copiant le bordereau.

Dreyfus, sachant enfin l’objet précis de son inculpation, délivré de l’affolant mystère, prit l’accusation corps à corps. Dans la misère où il agonisait depuis deux semaines, la vue du bordereau, de la pièce maudite, c’était la lumière dans la nuit, un rayon d’espoir. Des juges éclairés, loyaux, des soldats français, pourraient-ils, sur une pareille pièce, d’une écriture si visible-

  1. Du Paty, dans son rapport du 31 octobre, ayant sous les yeux le procès-verbal signé de lui-même, rapporte ainsi la réponse de Dreyfus : « On m’a volé mon écriture. » Cette réponse était antérieure de cinq jours, elle datait du 24 octobre, alors qu’il ne connaissait pas encore le bordereau et que Du Paty lui affirmait l’unanimité des experts. — Voir Appendice V.
  2. Rennes, II, 455, Teyssonnières : « Avez-vous eu connaissance de cette pièce ? demande le capitaine Beauvais. — Je ne l’ai jamais vue, » Beauvais insiste : « Cette pièce n’a pas été soumise à l’expertise de M. Teyssonnières ; elle aurait dû l’être ; au même titre que les autres. »