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LA « LIBRE PAROLE »


Grande habileté que de répandre, ensemble, la vérité et le mensonge, de publier à la fois l’arrestation de Dreyfus et ses aveux. La nouvelle vraie, qui sera confirmée, authentique la fausse. Du même coup, le forfait est révélé et avéré, puisqu’il est avoué par son auteur.

Le ministre des Finances, Poincaré, avait été tenu à l’écart des préliminaires de l’affaire. Il apprit l’arrestation de Dreyfus par la lecture des journaux[1]. Il téléphona aussitôt à Mercier et à Dupuy. Bien que ce fût jour de fête (la Toussaint), le Conseil de cabinet fut convoqué d’urgence au ministère de l’Intérieur. Tous les ministres, sauf Félix Faure et Viger, y assistèrent[2].

Les ministres, qui n’avaient pas été convoqués aux premiers conciliabules, s’en plaignirent. Hanotaux rappela les objections d’ordre international, qu’il avait fait valoir auprès du Président de la République et du

    pas nettement prouvée ». Le Petit Journal révélait que les officiers français, récemment arrêtés en Allemagne et en Italie, l’avaient été sur la dénonciation du traître. L’Éclair aussi nommait Dreyfus, précisait que la puissance, qui était entrée en rapport avec lui, n’était pas l’Italie, affirmait qu’il avait fait des aveux, et protestait contre la note officieuse de la veille : « Que veut dire arrestation provisoire ? Qui trompe-t-on ? Que se passe-t-il ? Quoi ! le traître qui avoue peut donc n’être pas maintenu en état d’arrestation ! Qui cherche à peser sur le Gouvernement ? » Seule, l’Autorité, de Cassagnac, gardait quelque sang-froid : « L’arrestation d’un officier français sous une inculpation de haute trahison, sans preuve sérieuse, serait un crime aussi abominable que la trahison elle-même. »

  1. Cass., I, 292. — De même, le ministre des Travaux publics, Barthou (Cass., I, 336), et les autres ministres, Félix Faure, Leygues, Delcassé, Lourties, Viger.
  2. Dupuy (Cass., I, 157) commet ici une nouvelle erreur de mémoire. Il parle d’une autre réunion, antérieure de quelques jours, à laquelle auraient assisté, avec lui, Poincaré, Mercier Guérin et Hanotaux. Il n’est question de cette réunion dans aucune autre déposition. Elle est démentie par la déposition de Poincaré, qui invoqua, à l’appui de son récit, les témoignages de ses collègues, Barthou, Leygues et Delcassé.