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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


président du Conseil, que le ministre de la Guerre avait repoussées.

Mercier avait lu la Libre Parole ; il en fut irrité, mais n’ordonna aucune enquête sur l’origine de l’indiscrétion[1] et, tout de suite, il prit son parti. Depuis la veille au soir, où, de sa propre main, il a écrit que l’arrestation de l’inculpé était provisoire, l’enquête judiciaire ne s’est pas accrue d’une présomption ; c’est le même dossier qui est sur sa table. Seulement, Drumont a parlé ; ce sont les oracles de Mercier.

Il porta au Conseil le bordereau, le commenta, et, dans son exposé, fut âprement affirmatif, trancha, répondit à tout. Aucune affaire plus simple, plus claire. Il raconta, à sa façon, les expertises. Les documents visés dans la pièce accusatrice n’avaient pu être livrés que par Dreyfus. Seul, Dreyfus les avait connus ; seul, il les avait détenus. Seul il avait pu les vendre[2]. Mercier dit aussi la prétendue épreuve de la dictée, le visage du misérable « trahissant une émotion extrême à l’énumération des documents du bordereau », le tremblement de sa main et de son écriture.

Il attribua le crime aux déceptions éprouvées par l’ambitieux[3]. Aucune autre pièce ne fut montrée ; il ne fut question d’aucune autre preuve[4].

  1. Procès Zola, I, 168 : « Je n’ai fait aucune enquête ; ces publications ont été faites en dehors du ministère de la Guerre. » Et, plus loin : « Cette publication pouvait venir de la famille Dreyfus. »
  2. Cass, I, 292, Poincaré ; I, 290, Guérin : « La nature des documents consignés au bordereau démontrait invinciblement que, seul, Dreyfus avait eu connaissance de l’ensemble des documents, que seul, il les avait eus en mains, que seul, par conséquent, il avait pu les livrer. »
  3. Cass., I, 336, Barthou.
  4. Cass., I, 292, Poincaré ; I, 336, Barthou ; I, 290, Guérin ; I, 658, Dupuy. — Poincaré invoque les souvenirs de deux autres de ses collègues, Delcassé et Leygues, qui concordent avec les siens (Cass., I, 292).