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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


mentaire officiel, la parole même du ministre de la Guerre, affirmant que les inconnus visés par ces pièces sont un seul homme, l’accusé.

Ou l’acquittement possible, sinon certain, — ou cet amas d’horreurs, mensonge, forfaiture, assassinat d’un soldat dans la nuit.

Boisdeffre a-t-il hésité ? Mercier, bien qu’il s’en taise, a commencé par reculer devant le crime.

Ce n’est pas qu’il n’en voie clairement le prix : cette presse qui l’outrage va l’acclamer ; du même coup il s’annexera l’Église et les démagogues, Drumont et Rochefort ; la condamnation du juif doit le sacrer grand homme, gardien de la défense nationale, chef des patriotes. Vainqueur d’Israël et sauveur de la France, il sera à Boulanger ce que Bonaparte a été à Augereau.

Le même marché avait été offert au chef de l’État : « Casimir-Perier a une terrible occasion de devenir populaire[1]. »

Pourtant un suprême scrupule de conscience arrête. Mercier. Quoi ! violer la loi[2] — plus que la loi, le droit naturel[3], — supprimer la défense d’un accusé, tuer un innocent possible, et d’un coup si lâche !

Il demande à réfléchir. Aussitôt sa défaillance est connue du journal des jésuites.

Le 13 novembre, la Libre Parole s’empare, pour avertir Mercier, d’un propos de l’avocat Demange. Questionné au sujet de la défense de Dreyfus qui vient de

  1. France du 4 novembre.
  2. Articles 302 et 305 du Code d’instruction criminelle, 101 du Code de justice militaire.
  3. Arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 1835 : « Attendu que la communication des pièces, sur lesquelles peut s’appuyer la prévention, est nécessaire au prévenu pour que sa, défense soit libre et complète, et, par conséquent, est de droit naturel… etc. »