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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


jetées en défi, officiellement, non seulement aux défenseurs français de Dreyfus, mais à l’Allemagne et à l’Italie, puis produites en vingt procès : à aucun moment, la guerre n’a été en vue.

L’eût-elle été, en décembre 1894, que la situation, militaire ou diplomatique, n’était ni pire (ni meilleure) qu’aux années précédentes ou suivantes. Deux ans après, en avril 1896, l’Allemagne était encore aux essais de son nouveau matériel d’artillerie[1]. Notre nouveau plan de mobilisation ne devant être mis en vigueur qu’au printemps[2], la mobilisation se serait faite d’après l’ancien plan XII. Et Boisdeffre, revenu de Moscou[3], se vantait à tous que l’alliance serait plus étroite encore avec le jeune Empereur qu’avec son père.

Ainsi, la communication n’a été secrète que pour ce seul motif : si elle n’est pas secrète, elle est vaine. Secrètes, non seulement ces pièces échappent à la discussion de l’accusé, mais elles portent aux juges l’ordre même du ministre[4]. Ce n’est plus le chef de la justice militaire qui soumet, à la conscience des magistrats, des charges qu’ils pèseront. C’est le chef de l’armée qui commande à des soldats de frapper. Sortis avec lui du domaine de la loi, ils cessent, d’être libres ; il leur faut obéir.

Et Mercier sait si bien que son crime n’a pas eu d’autre motif, qu’aussitôt accompli, il s’efforce d’en faire disparaître les traces, et qu’il ne l’avoue finalement que contraint, le couteau sur la gorge.

Et, pour que le crime soit plus tragique, son premier

  1. Rennes, I, 170, Billot.
  2. Cass., I, 16, Cavaignac. (Exactement : le 15 février 1895.)
  3. Cass., I, 260, Boisdeffre.
  4. Jaurès, les Preuves, p. 19 : « En ce sens, on peut dire que le premier Conseil de guerre a jugé par ordre. »