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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Mercier affirme qu’il ne s’est pas occupé de l’instruction judiciaire[1] ; mais Du Paty le suppléait. Le juge suspendait à chaque instant ses interrogatoires, renvoyait Dreyfus dans sa cellule, consultait Du Paty. L’agitation de cet enragé, la violence de ses propos, finirent par étonner jusqu’aux sous-ordres du parquet militaire ; l’un d’eux dit que « si Dreyfus n’était pas le coupable, c’était Du Paty ».

D’Ormescheville, qui connaît seulement les rapports de Guénée, nomme à l’accusé les directeurs, plusieurs habitués des cercles où il aurait joué[2] ; les connaît-il ? Dreyfus déclare n’en connaître aucun. Il eût été facile de les convoquer au Cherche-Midi, de les confronter avec lui. Toute une imposture se fût écroulée. Le juge instructeur écrit « qu’il appert, malgré ses dénégations, que Dreyfus fréquentait les cercles[3] ».

La preuve que Dreyfus est joueur, c’est que le registre de ses comptes porte cette mention, où apparaît tout son esprit d’ordre : « 50 francs, perte de jeu ». Dreyfus explique en vain qu’il fait parfois la partie familiale de ses beaux-parents.

Le juge occupe, lourdement, près de trois interrogatoires à le questionner sur les femmes, dont l’amour coûteux l’aurait poussé au crime.

Dreyfus répond sans embarras. Alors qu’il ignorait le bordereau, « son cerveau, brûlé par la fièvre, a pu imaginer quelque vengeance de femme ». Ces liaisons (antérieures, sauf une seule, à son mariage) ont été passagères, banales. Il n’y a point de Dalila dans sa vie.

D’Ormescheville insiste sur l’épisode de Mme Dida, que Dreyfus a aimée, qui a été assassinée par un jeune

  1. Rennes, II, 203, Mercier.
  2. Esnault, le sculpteur Falguière, Aurélien Scholl, etc.
  3. Cass., II, 83, rapport de D’Ormescheville.