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L’INSTRUCTION

Il emporta son butin, et, peu de jours après, sa théorie de l’autoforgerie, esquissée seulement jusque là, était devenue un système complet.

III

La folie originelle de Bertillon a procédé d’une erreur de vision. Cette écriture si vive, si spontanée du bordereau lui est apparue gênée et hésitante, comme si un obstacle avait paralysé le mouvement des doigts du scripteur. Et comme elle ressemble à celle de Dreyfus, comme, d’autre part, le crime de Dreyfus est avéré, il en résulte que l’accusé a contrefait lui-même sa propre écriture, afin de pouvoir alléguer d’une forgerie ou d’un calque. C’est l’hypothèse du calque exposée dans le rapport du 20 octobre. Dreyfus a choisi un papier pelure assez épais qui lui permettra d’attribuer à un défaut de transparence les dissemblances intentionnelles de l’écriture.

Maintenant Bertillon va abandonner l’hypothèse du calque pour la remplacer par un procédé plus compliqué et plus digne d’un traître aussi pervers.

Le bordereau contient plusieurs mots qui sont répétés deux ou trois fois. Il leur trouve un air de famille. Quoi d’étonnant, puisqu’ils sont de la même écriture ? Mais n’existe-t-il pas entre eux un rapport plus étroit ? Il mesure ces mêmes mots ou des groupes de mots similaires. Et, comme ils occupent sur le papier un espace approximativement le même, il décide que cet espace est rigoureusement identique, ce qui implique une forgerie. Qu’est-ce à dire pourtant, sinon que l’écriture du bordereau est à peu près régulière ? Il existe un